La danse de l'ange rebelle

Au-delà du Mystère

Pieter Bruegel - La parabole des aveugles (Ilustration du texte Au-delà du Mystère)

Illustration : Pieter Bruegel

Le domaine de l’« Au-delà », du paranormal, des sciences occultes, etc. – que l’on parte des tables tournantes pour arriver aux soucoupes volantes – est vaste et divers et fait couler beaucoup d’encre que cela soit chez ses promoteurs ou ses détracteurs…

Il y a ceux qui ne « demandent qu’à croire » et qui ayant un présupposé positif se vautrent volontiers dans la crédulité et la superstition. Voltaire doit se retourner dans sa tombe !

À l’inverse, il y a ceux qui « ne veulent pas le savoir » et qui rejettent tout en bloc : le bébé, l’eau du bain et la baignoire avec !

Voyons si ces deux attitudes sont vraiment opposées et essayons de déterminer quelle pourrait être celle d’un esprit réellement libre et farouchement impie.

Dans les deux cas de figure cités plus haut, les personnes concernées se basent sur une vérité, ou plus exactement sur une interprétation de la réalité.

Pour les uns, la reconnaissance de l’existence du phénomène « inexpliqué », sous-entend en fait l’adhésion à une explication du phénomène par la pensée magique : la table tournante devient la manifestation d’un esprit défunt qui sous-entend elle-même l’existence d’une vie après la mort, etc.

Pour les autres, le phénomène ne semblant pas cadrer avec leur vision scientiste du monde, il est nié par principe et ne sera accepté qu’une fois avalisé largement par la science qui est pour eux un outil servant à filtrer le réel.

Donc si on peut dire qu’il y a une « foi du charbonnier », on peut tout aussi bien parler d’une « mauvaise foi du charbonnier ».

Une croyance commune réunit ces deux attitudes qui partent du principe que l’homme est apte à comprendre et expliquer tous les phénomènes qu’il est apte à percevoir.

Dans ce contexte, que certains des scientistes évoqués ici se prétendent « sceptiques » ou « athées » relève de la malhonnêteté intellectuelle ou du moins d’un manque d’approfondissement de leur raisonnement.

Effectivement nier l’existence de phénomènes que l’homme serait apte à percevoir empiriquement tout en étant incapable par nature de les expliquer revient à attribuer à l’homme une intelligence infinie. Or comment peut-on penser cela sans adhérer à une vision finaliste de l’univers dans lequel une quelconque volonté transcendante aurait créé l’homme avec le dessein de lui prêter une intelligence lui permettant de comprendre les moindres mystères de son environnement ?

Il faut être cohérent, celui qui est réellement sceptique et impie, qui considère donc qu’il n’y a aucune réalité métaphysique dictant la destinée du monde, celui-là ne peut que considérer comme évident qu’un grand nombre de phénomènes échappent purement et simplement à l’entendement humain, sans pour autant échapper à sa perception.

Un esprit impie peut adhérer à une vision darwiniste et évolutionniste du monde, puisqu’après tout cette conception laisse une grande place au hasard et à la contingence et ne nécessite pas l’action d’une volonté transcendante.
Et si cette conception de l’histoire du vivant porte l’être humain en haut de l’échelle de l’évolution du fait même de son intelligence, il faut faire un grand pas pour en conclure en attribuant à l’homme une intelligence lui permettant de comprendre potentiellement tous les phénomènes qu’il est capable de percevoir !

Et il n’est sans doute pas nécessaire d’aller chercher dans le bestiaire fantastique et sensationnel classiquement attribué au « paranormal » pour trouver nos limites. Des phénomènes bien moins spectaculaires et exceptionnels nous échappent au quotidien sans même que nous prenions la peine de nous y arrêter.

Il ne s’agit pas de nier toute intelligence à l’être humain, cela serait absurde. Ces connaissances scientifiques sont réelles et trouvent des applications techniques dans notre vie. Il faut juste la remettre à son niveau et accepter ses limites, en ne partant pas du principe que tout phénomène échappant à la raison humaine est nécessairement illusoire ou que cette incompréhension est provisoire, parce qu’il finira bien par être expliqué (en fait inclus dans une théorie générale).

Mais pour un esprit sédentaire, il est très difficile d’admettre la limite de sa compréhension et donc de son pouvoir sur son environnement. L’angoisse guette… Et il n’est pas étonnant que celui qui admet l’existence d’un « au-delà », adhère dans la foulée aux diverses croyances qui l’accompagnent. Ce sont après tout des sortes d’explications qui sont souvent elles-mêmes accompagnées de rituels divers permettant de manipuler cet au-delà. Nous avons de nouveau prise sur la réalité, comme c’est rassurant !

Quelque chose vous paraît étrange, mystérieux, vous échappe ? Nier son existence ou inventer lui une explication simpliste. Dans un cas comme dans l’autre vous pourrez vous replonger dans votre fauteuil de certitudes, décidément si confortable !

Ces explications « magiques » ont souvent d’autres vertus pour les intéressés puisque leur permettant de trouver des réponses à différents problèmes existentiels : vous vous demandez si la vie à un sens ? Inventez donc une volonté transcendante, une quelconque providence ! Votre condition mortelle vous angoisse, vous vous sentez seuls dans l’immensité de l’univers ? Une dose de vie après la mort ou d’intelligences extraterrestres seront votre médication !

Voilà des questionnements qui auraient pu vous mener sur le chemin de belles réflexions et que vous avez tués dans l’œuf ! Quel gâchis !

Tout à l’inverse, un esprit réellement épris de liberté ne pourra se satisfaire de cette situation fermée, où tout est expliqué, maîtrisé, rationalisé… Parce ce qu’il lui préférera un univers laissant une large place au mystère, à l’imprévu… Il voudra plus que tout réussir à dépasser le vertige de son ignorance, non pas en la niant mais en apprenant à l’apprécier pour peut-être même finir par s’en griser !

Brisons cette dernière idole qui est celle de l’homme omniscient ! La pleine conscience des limites de notre intelligence ne pourra que nous inciter à une attitude plus mesurée vis-à-vis de notre environnement, ne pouvant complètement prévoir toutes les conséquences de nos actes. Et d’un autre côté cette lucidité peut aussi nous inspirer un grand sentiment de liberté, puisqu’il n’y a plus alors qu’une seule voie possible mais au contraire une multitude.

Ainsi, paradoxalement, en acceptant ses limites en tant qu’être humain, l’être peut accroître sa liberté en tant qu’individu pensant et agissant.

« Le penseur – C’est un penseur : cela signifie qu’il est expert dans l’art de considérer les choses comme plus simples qu’elles ne sont. » (Friedrich Nietzsche – Le Gai Savoir)

« La Vérité n’a pas de sentier, et c’est cela sa beauté : elle est vivante. Une chose morte peut avoir un sentier menant à elle, car elle est statique. » (Krishnamurti – Se libérer du connu)

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