La danse de l'ange rebelle

L’œuvre du Néant

Ignaz Günther - Chronos (Ilustration du texte L’œuvre du Néant)

Illustration : Ignaz Günther

Est-ce que l’être humain, du fait même qu’il Est, est apte à envisager le Néant, le non-Être et par cela, de réellement être conscient de sa nature éphémère ?
Notre Ego semble peu nous y disposer, l’arbre cachant la forêt.

En effet, puisque depuis sa naissance, par définition l’individu « est », comment pourrait-il prendre en considération un néant qu’il n’a pu expérimenter ?

Ceci peut expliquer la permanence du sentiment d’immortalité même chez l’esprit le plus terre-à-terre et incroyant.

Même notre confrontation à ces deux phénomènes que sont la mort et la naissance ne semble pouvoir nous y convaincre.
En effet, naissance et mort évoquent tous les deux le Néant, duquel apparaît l’être dans le premier cas et dans lequel il disparaît dans le deuxième.

Du reste une première observation du réel nous fait constater que rien ne semble disparaître, mais que tout se transforme, pour paraphraser Lavoisier.

Néanmoins s’il y a transformation, c’est bien qu’il y a disparition, puisque l’entité se décompose en éléments plus subtils, qui pourront ensuite contribuer à l’élaboration de nouvelles entités par recomposition.

Ainsi l’entité de départ a bel et bien disparu, l’être initial ne « survivant » (si on veut) que par la redistribution de ce que l’on pourrait nommer son patrimoine, en fait la somme de tout ce qu’il « avait ».

À un niveau existentiel, cette décomposition de notre entité nous apparaît comme impossible, voire remettant en cause notre dignité, cependant que nous connaissons expérimentalement la décomposition de notre entité organique.

Il est ainsi aujourd’hui de bon ton de se moquer du concept de résurrection tel qu’il est présenté dans la tradition chrétienne, les chrétiens eux-mêmes en cherchant le plus souvent une interprétation allégorique.

Ceci alors que d’un autre côté l’idée de transmigration des âmes voudrait s’imposer à nous, comme si celle-ci était moins absurde…

Une « âme » migrerait donc dans un supposé monde invisible pour ensuite se réintroduire dans un autre corps, et voilà que la boucle est bouclée ! Ne cherchez pas plus loin, tout est là !

Rien de tel, en effet, pour briller dans les soirées et se donner un air faussement spirituel que de parler de « karma » ou de réincarnation, sans pour autant avoir la moindre idée de quoi il en retourne (cf. « Le doigt du Sage »). À ces consommateurs de prêt-à-penser, on pourrait attribuer la médaille des meilleurs perroquets.

Et nous tentons généralement d’accentuer encore ce sentiment d’immortalité et de prolonger notre Ego en nous identifiant à des choses extérieures.

Ainsi nous avons NOS goûts, NOS convictions, NOS amis, NOTRE famille mais aussi NOTRE look, NOTRE voiture… et dans cette frénésie de l’Avoir, j’en entends même certains parler de NOTRE père ! C’est diabolique ! (Hi ! Hi !)
Eh quoi !? Arrivés là, pourquoi n’aurions-nous donc pas NOTRE karma et NOS vies antérieures ?! Mais c’est que ces vies-là sont à MOI, Monsieur !

L’ironie de la situation veut que tout avoir étant périssable, nous avouons NOTRE mortalité… là-même où nous voudrions nous la cacher. Astuce d’illusionniste !

Si nous avons néanmoins décidé de jouer le « Je », nous pouvons alors envisager tout cela avec détachement, tout en continuant à participer.

Amusons-nous alors de tous ces « je » auxquels nous sommes conviés.

Participons au jeu auquel nous a invité le cosmos en gardant à l’esprit que nous devrons, tôt ou tard, rendre tout ce qui nous a été prêté, l’ombre d’un instant, bien plus jouets que joueurs.

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