La danse de l'ange rebelle

Le doigt du Sage

Suzuki Harunobu - Vieux sage enseignant une morale (Ilustration du texte Le doigt du Sage)

Illustration : Suzuki Harunobu

« Quand le sage désigne la Lune, l’imbécile regarde son doigt. ». Joli adage qui nous rappelle le caractère équivoque de tous nos discours. Savons-nous parler ? Savons-nous entendre ?

Nous pouvons en effet remarquer les difficultés que nous rencontrons, dès lors qu’il s’agit de communiquer des savoirs échappant à notre perception directe.

Sans difficulté, vous me comprendrez si je vous informe que le crayon que je tiens actuellement se trouve être de couleur noire, ou encore qu’il mesure environs dix centimètres.
Cela fait référence à des faits relevant de notre perception immédiate du réel.

Mais que cela devient-il si mon discours porte maintenant sur des sujets relevant d’expériences intérieures ou encore que je m’aventure à traiter de quelque sujet d’ordre purement abstrait… Tous les quiproquos et les erreurs d’interprétation se révèlent alors possibles.
Parlerais-je, par exemple, de révolte métaphysique que celui qui ne l’aura jamais vécue restera sourd, ou pire même, croira me comprendre !

On voit que ce problème se pose aussi bien pour le discours scientifique, philosophique ou encore mystique.

Nous pouvons observer ce phénomène chez l’idolâtre qui concentre toute son attention sur le mythe perçu au premier degré, au détriment de ce qu’il représente ou évoque.

Ailleurs, on s’égarera de la même façon en privilégiant le modèle mathématique élaboré par le savant pour représenter un phénomène physique, mais qui – aussi complexe et « réaliste » soit-il – ne cesse pas d’être une pure représentation, qui ne pourra jamais remplacer ce qu’elle représente.

La carte n’est pas plus le pays que le mot « chien » ne risque de vous mordre !

Mais admettons au moins que quand ces représentations prennent une allure relativement complexe, voire défiant notre « bon » sens, elles ont le mérite de mettre en lumière les limites de nos perceptions directes du réel.

Par analogie, on pourrait comparer tous ces systèmes de représentation, à des gants que nous utiliserions pour saisir un plat trop brûlant pour être touché directement.

Pour répondre à ce besoin, nous inventons tout un ensemble de concepts, de symboles, dont la vocation n’est rien d’autre que de nous permettre d’exprimer… l’inexprimable !

S’attacher ensuite à ces concepts, ces symboles… en eux-même, cela reviendrait à fixer son attention sur le doigt tendu par le sage, quand nous devrions tenter de deviner ce qu’il essaye de nous désigner ainsi.

Et nous ne pouvons pas non plus lui reprocher de ne pas avoir le bras assez long pour atteindre une Lune se dressant décidément trop haut…

Seuls notre aveuglement et notre manque de profondeur sont ici à remettre en cause.

Eh bien voilà qui est dit, mais est-ce entendu ?

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