« Je », est multiple
Illustration : Madeleine Woog
Il y a cette coutume contemporaine et si populaire qui consiste à photographier les différents événements de notre existence, pour soi-disant « immortaliser l’instant ».
En fait, narcissisme morbide qui consiste à regarder ce qui n’est plus, comme un homme qui se recueillerait sur sa propre sépulture.
Mais que cela aie au moins un effet intéressant, quand en regardant une photographie où nous apparaissons dans notre plus jeune âge, nous observons un individu que nous savons être nous-même et qui pourtant nous apparaît le plus souvent comme totalement étranger.
Cela pour nous faire prendre conscience de la très grande diversité de notre réalité individuelle tel qu’elle se déroule durant, pourtant, une seule et même existence.
Plus généralement, et sans cet écart temporel qui voit l’individu se transformer durant toute son existence, nous pouvons constater que de manière contemporaine nous passons de modes de conscience et de comportements différents, selon les circonstances qui nous entourent.
Que nous soyons au travail, entre amis, en famille ou encore dans la solitude, notre conscience semble en effet se modifier comme si nous avions plusieurs masques que nous revêtions suivant l’occasion.
Il est d’ailleurs à noter que sur ce point, les nouveaux réseaux de communication apparaissent comme les terrains de jeu par excellence, pour ceux qui aiment changer de rôle comme de pseudonyme.
« Je » est un autre, disait le poète, mais en fait toute cette étrangeté et ces contradictions ne sont qu’apparentes.
Il n’y a pas plus à s’en étonner que des multiples faces d’un cube, qui bien loin d’être des paradoxes, sont des évidences.
La difficulté que l’être humain peut rencontrer, est justement de réussir à faire le lien et en même temps la différence, entre d’un côté ces multiples personnages qui semblent se jouer en lui et par lui, et de l’autre côté le profond sentiment d’homogénéité et d’individualité qui siège en son for intérieur.
Il faut alors concevoir une réalité individuelle qui n’est plus fixe ou figée mais bien au contraire mouvante, instable et donc tout simplement vivante.
Certains ont voulu discréditer une conscience superficielle, qui ne serait pas ce qu’est vraiment l’individu, par rapport à une réalité profonde, qui elle serait immuable, toujours égale à elle-même et qui serait donc la seule réalité humaine à retenir.
C’est sans doute qu’ils ont oublié que l’apparente rigidité de la surface terrestre, contrastant avec toute la biosphère qu’elle accueille en son sein, ne fait que masquer ses mouvements sous-terrains. Faut-il attendre séismes et autres volcans pour s’en rappeler ?
Et c’est donc bien également dans les tréfonds de son être que se jouent les grandes révolutions et métamorphoses de l’individu.
Tout au plus pourrons-nous concevoir que ce mouvement qui nous anime suit toujours la même direction, tout en se manifestant de manière différente suivant les étapes de son évolution et les conditions extérieures. Encore que cela reste une supposition.
Pour finir, nous pouvons conclure en disant que nous pensons, ressentons et agissons toujours dans la multitude ; tandis que dans la globalité spatiale et temporelle de notre être, ce que nous sommes est unique et indivisible. Cela entre deux morts intérieures.
Texte suivant : L’Homme et l’Univers