La danse de l'ange rebelle

La métaphysique de l’équilibriste

Henri de Toulouse-Lautrec - La Danseuse de corde (Ilustration du texte La métaphysique de l’équilibriste)

Illustration : Henri de Toulouse-Lautrec

Il est d’usage d’opposer les notions « être » et « avoir ».

Pourtant si on analyse correctement ce que nous entendons par « être », nous nous rendons vite compte qu’il ne s’agit rien d’autre qu’un ensemble de caractéristiques censées nous définir.

En prenant chacune de ses caractéristiques séparément, nous observons qu’elles sont susceptibles d’évoluer voire de disparaître sans pour autant que nous cessions d’exister.

Je peux aussi bien en effet changer d’opinion ou de goût que perdre une partie de mon corps ou de mes capacités suite à un accident de la vie, sans pour autant devenir une « autre » personne.

Bref, cet « être » n’est pas plus stable ou essentiel que l’avoir puisqu’il résume en un instant donné un ensemble de caractéristiques relevant toutes de l’avoir, donc du périssable.

Il s’agit en fait d’une pure abstraction puisqu’il est tout aussi impossible d’isoler complètement un « instant » dans la continuité du temps que d’isoler une individualité de manière totalement indépendante de son environnement.

Que nous reste-t-il alors si cette fausse dichotomie être/avoir vient à disparaître ?

Puisque c’est de l’observation de cette fuite du temps que nous déduisons cette instabilité fondamentale, on peut sans doute opposer au sein même de ce mouvement les forces agissant dans le sens de cette transformation de celles qui a contrario sont des forces d’inertie.

Cette nouvelle dichotomie ou plutôt dialectique apparaît alors beaucoup plus évidente, puisqu’au centre même du processus vital : les forces de transformation dynamisant le réel en lui permettant de se perpétuer dans un flux novateur ; les forces d’inertie jouant le rôle de modératrices vis-à-vis de cette ardeur créatrice.

Nous arrivons ainsi à éviter deux morts, celle par l’immuabilité : plus rien ne se transforme, toute création devenant impossible ; et celle par le chaos : nous n’avons plus alors la continuité et la cohérence qui sont toutes deux nécessaires à l’émergence d’organisations plus complexes et évoluées.

À notre niveau de sujet, nous ressentons également ces deux tendances qui semblent s’affronter en nous, sachant que le produit de cet affrontement va constituer ce que nous devenons. Nous évoluons alors avec plus ou moins de rapidité suivant l’équilibre entre ces deux forces.

Trop d’inertie et nous sommes attachés à notre passé comme un pendu à sa corde, trop de véhémence transformatrice et nous sombrons dans l’agitation, dans l’incohérence…, le fruit étant cueilli avant maturité.

À noter qu’une erreur courante consiste à confondre inertie et absence de mouvement (cette dernière étant d’ailleurs impossible), alors qu’elle correspond plus à une perpétuité du même mouvement, qui ne s’altérerait en aucune façon.

Nous reproduisons alors toujours les mêmes schémas, sans être capables de nous régénérer, et de commettre un quelconque acte réellement créateur.

Étant donné, que nous ne « sommes » dans ce monde que par le biais de nos actes, qui nous permettent à notre petit niveau de participer au réseau d’interaction universel, il nous est essentiel de travailler à ce fertile équilibre nous permettant de contribuer à cet élan créateur, sans nous abandonner à une quelconque fixation, pas plus qu’à un déchaînement créatif ouranien, encore que cet équilibre à un niveau supérieur puisse tolérer (et même parfois sous-entendre) un déséquilibre individuel. C’est alors l’univers lui-même qui jongle sur la corde de son devenir.

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